Baroudeur et grand reporter, auteur d'une cinquantaine
de romans de guerre,
Jean Lartéguy
est décédé à l'âge de 90 ans. On l'avait oublié. D'autres encore, parmi les plus jeunes, ignoraient jusqu'à son nom. Auteur à grand succès dans les années soixante, le romancier et grand reporter Jean Lartéguy est décédé mercredi à l'Institut national des Invalides où il résidait depuis plus de cinq ans. Son nom est apparu au grand public dès 1959, avec la parution des Mercenaires et surtout des Centurions, roman cruel sur la guerre d'Algérie, vendu à plus d'un million d'exemplaires, et qui sera boudé par les jurés des grands prix littéraires parisiens. Né en région parisienne (à Maisons-Alfort), élevé à Aumont-Aubrac, une bourgade de la Lozère, Jean Lartéguy, de son vrai nom Jean Pierre Lucien Osty, s'était engagé en octobre 1939 (il a alors 19 ans) avant de rejoindre les Forces françaises libres. Il combat dans les commandos d'Afrique. Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, ce baroudeur entre dans le journalisme comme reporter de guerre. Aussi vif la main à la plume que téméraire l'arme au poing, il multiplie les articles inspirés par le «terrain» pour le magazine Paris-Presse, et plus tard pour Paris-Match. En 1950, une licence de lettres en poche, on le retrouve de nouveau sous l'uniforme, avec les forces françaises en Corée, en pleine guerre opposant le Nord communiste et le Sud, soutenu par les États-Unis. Il est blessé lors de la bataille de Crèvecoeur. Ses nombreux reportages, qui sont autant de récits de guerre, lui valent la récompense suprême : le prix Albert-Londres, décroché en 1955. «C'était le temps où on vous balançait sur le terrain, aimait-il à se souvenir. Ou vous vous en sortiez, et on vous gardait. Ou on vous virait…» Déjà grand journaliste, bientôt grand raconteur d'histoires. Cette année-là, il publie son premier roman, La Ville étranglée. Jean Lartéguy se lance à corps perdu dans l'écriture. Au total, pas moins d'une cinquantaine de romans à son actif, dont l'immense succès des Centurions, paru en 1960. Le livre sera adapté au cinéma par Mark Robson, avec Claudia Cardinale, Michèle Morgan, Alain Delon et Anthony Qinn.
Sur tous les fronts
Mais il serait faux de croire que Jean Lartéguy ne fut que l'homme d'un livre. Inspiré par les démons de la guerre, il a été de tous les fronts de la seconde moitié du XXe siècle. On lui doit aussi un roman historique, Mourir pour Jérusalem, sur la prise de la Ville sainte par les croisés, un de ses tout derniers livres, paru en 1995. Quant au Liban, qu'il connaissait comme le fond de sa poche, il lui a inspiré un roman policier, L'Or de Baal, paru une dizaine d'années plus tôt. Parallèlement, Lartéguy n'aura pas pour autant abandonné le journalisme. Fin 1989, quelques semaines après la chute du mur de Berlin, il se rend dans une Union soviétique ébranlée. Il en revient avec un reportage prémonitoire d'une quinzaine de pages que publie Paris-Match. Deux ans plus tard, l'URSS s'effondrait. Par ailleurs, au lendemain de l'arrivée au pouvoir des mollahs en Iran, il écrit Dieu, l'or et le sang, dans lequel il remonte le cours de l'Histoire, en s'attardant même sur l'Afghanistan. À partir de la fin des années quatre-vingt, son œuvre prolixe bénéficie d'un regain d'intérêt grâce à la publication de quatre volumineuses anthologies dans la collection «Omnibus», sous les titres «Récits de guerre», «Le mal d'Indochine», «La nuit africaine» et «Indochine». Il y a presque deux ans, Jean Lartéguy avait remis officiellement l'ensemble de ses archives au service historique de la Défense, il était chevalier de la Légion d'honneur, croix de guerre 1939-1945 et des théâtres d'opérations extérieurs (TOE), avec quatre citations. Longtemps, le romancier avait pris pour habitude d'écrire loin de Paris et des bruits du monde, dans une vaste maison sise dans paisible village provençal, précisément rue de la Liberté…